Le Parisien : Vous êtes pressenti pour présider la Fondation pour les oeuvres de l'islam de France. Allez-vous accepter ?
Jean-Pierre Chevènement: Dès le début de cette année, nous avons eu, Bernard Cazeneuve, son cabinet et moi-même, plusieurs réunions sur le sujet. Car, dès 1999, j'avais, comme ministre de l'Intérieur, lancé une grande consultation sur l'islam de France. Le ministre de l'Intérieur m'a adressé une lettre le 26 avril, me proposant — et je pense qu'il n'a pas fait cette proposition sans l'avoir évoquée avec le Premier ministre et le président de la République — la présidence de cette fondation qui n'est pas encore constituée. J'apprécie beaucoup Bernard Cazeneuve pour sa modération, sa détermination, sa parole toujours maîtrisée.
Vous allez donc dire oui ?
Il s'agit d'une tâche d'intérêt public car les 4,1 millions de musulmans que compte la France doivent pouvoir exercer leur culte mais dans le respect de la laïcité et des principes de la République. Cette mission est tellement d'intérêt public qu'aucun responsable ne peut s'y dérober. Je ne m'y déroberai donc pas sauf si ma nomination devait entraîner des problèmes insolubles qui me forceraient à me retirer. Je dis à un certain nombre d'hommes politiques de l'opposition : il en va de l'intérêt du pays que cette fondation, d'ailleurs mise en place en 2005 sous la présidence de Jacques Chirac, puisse enfin fonctionner. Comme le dit Omar Sy, nous portons tous le maillot bleu de l'équipe de France.
Certains critiquent le fait que vous soyez une personnalité politique et un non-musulman...
Ce que l'on me propose est la présidence de la Fondation pour les oeuvres de l'islam de France qui a une vocation d'intérêt général, et non de l'association cultuelle qui y sera adossée. Le futur président de la Fondation ne sera pas chargé de promouvoir l'islam. Je n'y ai aucun titre, je ne suis pas musulman, je suis un républicain laïc. La laïcité n'est pas tournée contre la religion, elle libère la spiritualité de toute emprise de l'Etat. Je n'entends nullement m'immiscer dans la sphère du religieux.
SON PROGRAMME
Le moment est-il bien choisi pour relancer l'idée de cette fondation ?
L'émergence d'un islam de France compatible avec la République représente une oeuvre de longue haleine d'autant plus nécessaire aujourd'hui que des courants salafistes se développent partout dans le monde, y compris en France depuis une quinzaine d'années, mettant à leur merci certains jeunes à l'esprit fragile. C'est une bonne réponse à la poussée du terrorisme, conforme à l'intérêt des musulmans, aussi bien qu'à l'intérêt de la France.
Quelles seraient les premières mesures que vous prendriez ?
La mission première de cette fondation est la formation profane des imams. Il faut leur enseigner ce qu'est la citoyenneté française, le cas échéant la langue française, les principes généraux du droit, en tout cas ceux régissant les rapports entre le culte musulman et les pouvoirs publics. Il s'agira aussi de promouvoir des projets culturels ayant pour but de faire mieux connaître la civilisation musulmane, laquelle, à certaines époques comme à la fin du premier millénaire, a brassé les cultures et a été une des grandes matrices du monde moderne. Il faudra aussi réfléchir à la création d'un institut de recherche - profane -- en islamologie.
Avez-vous posé des conditions préalables à votre accord ?
J'ai posé deux conditions à ma présidence éventuelle. Tout d'abord, que les financements étrangers soient prohibés afin que tout se passe dans la plus grande transparence et que l'islam de France dépende d'un argent collecté en France. D'autre part, mon acceptation de principe ne signifie en aucune manière que je renonce à ma liberté d'expression en tant qu'homme politique au long cours. Mais je ressens vivement, en raison des drames que vit notre pays et aux épreuves qui l'attendent, qu'une certaine unité nationale doit se manifester.
FINANCEMENT DE L'ISLAM, LAÏCITÉ
Etes-vous opposé aussi aux financements extérieurs pour la construction et la gestion des mosquées, la formation religieuse des imams... ?
Le Conseil d'Etat différencie la fondation d'intérêt public — qui, je le répète, a en charge les activités profanes — de l'association cultuelle qui, elle, est en charge du religieux. Il me semble que l'islam de France, y compris dans sa version théologique où je n'ai pas à intervenir, doit pouvoir se développer avec des fonds français ou, en tout cas, qu'un mécanisme de transparence soit institué en l'absence de tout « fléchage » de la part des donateurs. Ce qui signifie que ce sera à l'association seule de sélectionner les projets. Mais il ne faut pas négliger ce qui a déjà été fait avec des fonds français, y compris avec le concours des collectivités locales dans les limites permises par la loi : il y a aujourd'hui 2 500 mosquées en France. Le temps de l'« islam des caves et des garages » est révolu.
Etes-vous pour une « taxe » sur la viande hallal ?
Le service peut être rémunéré, mais il faut d'abord que les musulmans s'entendent sur la certification de ce qui est hallal. Et la décision leur appartient.
Faut-il revenir sur la loi de 1905 sur la séparation des Eglises et de l'Etat, comme l'a évoqué un moment le Premier ministre ?
Le Premier ministre n'a fait que l'évoquer et le président de la République a rejeté toute modification de la loi de 1905 qui interdit les subventions.
Quelle est votre position sur des problèmes concrets comme le port du voile à l'université, le burkini, les repas hallal dans les cantines...
Légalement, les choses me paraissent assez claires et modifier la loi n'est pas une priorité. Le conseil que je donne dans cette période difficile — comme le recteur de la mosquée de Bordeaux — est celui de discrétion. Les musulmans, comme tous les citoyens français, doivent pouvoir pratiquer leur culte en toute liberté. Mais il faut aussi qu'ils comprennent que, dans l'espace public où se définit l'intérêt général, tous les citoyens doivent faire l'effort de recourir à la « raison naturelle ». Un principe que le prophète recommande quarante-quatre fois, selon l'islamologue Jacques Berque, dans le Coran. L'avenir des jeunes nés de l'immigration est en France et nulle part ailleurs. Il faut les empêcher de tomber dans l'impasse suicidaire dans laquelle les poussent Daech et les salafistes à la vue courte. Si nous aimons la France, il faut faire des Français de confession musulmane des Français qui, comme les autres, ont envie de travailler à l'essor de la France. Il y a un intérêt commun à ce que le bateau France tienne la mer, car, s'il devait couler, ce sont tous ses passagers qui couleraient avec lui.
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