Le 14 mars 2007, il y a 10 ans, Lucie Aubrac l'une des
dernières grandes figures de la Résistance disparaissait, dans la région parisienne à l'âge de 94 ans.
Sa vie, marquée par un engagement de tous les jours, et plus précisément durant
les années noires de l'Occupation, aura définitivement fait d'elle une
incarnation du courage et de la capacité à se révolter.
Son action en 1943 à Lyon, alors
capitale de la Résistance, a été portée à l'écran en 1997 par Claude Berri dans
Lucie Aubrac, jouée par Carole Bouquet. Un film qui restitue bien
l'arrestation à Caluire des dirigeants de la Résistance – dont Jean Moulin et Raymond
Aubrac, le mari de Lucie –, mais donne peu de renseignements sur la
biographie de cette femme de tête née le 29 juin 1912 dans une famille de vignerons mâconnais modestes.
Lucie
Bernard, son nom de jeune fille, n'avait pourtant pas attendu les heures
sombres pour prendre
conscience de la montée des fascismes en Europe.
Excellente élève, passionnée d'histoire,
elle devient professeur agrégée dans les années 1930. Dès cette époque, elle
est spontanément, naturellement une militante. Inscrite aux Jeunesses
communistes, son engagement est total.
Lorsque la
guerre éclate, elle est en poste à Strasbourg.
Elle vit avec un jeune ingénieur des ponts et chaussées issu de la bourgeoisie
juive, Raymond Samuel. Ce dernier a fait une partie de ses études aux
Etats-Unis, pays qu'il apprécie tout en restant très proche des analyses marxistes. Ils se marient le 14 décembre
1939 alors que la France
s'est installée dans la drôle de guerre.
A l'heure de
la défaite de juin 1940, quand Raymond Samuel se retrouve prisonnier de l'armée allemande, Lucie parvient une première fois
à le libérer
de la prison de Sarrebourg (Moselle), en août, profitant d'une confusion
générale. Tous deux gagnent alors Lyon.
Le régime de
Vichy s'est installé, la collaboration s'impose violemment et le premier statut
contre les juifs est adopté. Le couple, qui dispose de deux visas, pourrait partir
aux Etats-Unis. Ce serait la sagesse : ils sont fichés comme communistes et il
est juif. Ils refusent ce confort, non par défi mais par patriotisme. Par
esprit de résistance.
Ils seront
parmi les premiers en France à constituer un réseau d'entraide solide, à rédiger
des tracts et à les distribuer. A l'automne 1940, Lucie Samuel rencontre Emmanuel
d'Astier de la Vigerie, fondateur du réseau clandestin Libération. Ils décident
de lancer
ensemble un journal. C'est durant ces rencontres
que Lucie et Raymond Samuel deviennent insensiblement des clandestins. Elle est
professeur et mère de famille; elle est aussi complètement impliquée dans la
vie du mouvement Libération.
En 1941,
tous leurs efforts sont tournés vers la rédaction et l'impression du journal,
arme de propagande. En 1942, ils cherchent à élargir
leur réseau et à trouver
des armes, de l'argent, des caches. Le tout avec un mélange d'improvisation et
d'organisation. De sang-froid et de fièvre.
Pour tout le monde, ils s'appellent Lucie et Raymond
Samuel. Ils donnent le change. Leurs voisins ne se doutent de rien. Elle part
chaque jour donner
ses cours au lycée de jeunes filles Edgard Quinet; lui travaille assidûment.
Mais en réalité, les contacts rapides, les rendez-vous clandestins se multiplient. Sous le nom de
François Vallet, Raymond Samuel est arrêté le 15 mars 1943 alors qu'il va rencontrer un camarade, Maurice Kriegel Valrimont, alias
Maurice Fouquet, dans un appartement de Lyon. Dans le même coup de filet, une
vingtaine de personnes sont arrêtées. La police
française ne parvient pas à percer
la véritable identité de Raymond Samuel. Il explique qu'il se livre au marché
noir (achat et revente illégaux de sucre). Le juge signe une ordonnance de
libération le 10 mai 1943.
Mais ce
qu'ignore Raymond Samuel à ce moment-là, c'est le rôle de sa femme. Lucie s'est
rendue en personne chez le procureur pour lui tenir
ce langage : "Je représente ici l'autorité du général de Gaulle, qui
est le chef de Vallet. Si demain, au palais de justice, vous ne signez pas favorablement sa mise
en liberté, si le 14 au matin Vallet n'est pas libre, vous ne verrez pas le
soleil se coucher
le 14 au soir." Une dizaine de jours plus tard, le mouvement
Libération, avec un commando intégrant Lucie et Raymond, libérera plusieurs
autres résistants de ce groupe : Kriegel Valrimont, Serge Ravanel et François
Morin, en se faisant passer
pour des agents de la Gestapo. A chaque fois, Lucie Aubrac manifeste un courage
et un esprit de décision exemplaires.
"Il
faut savoir
être
fou",
disait-elle. Il lui arrivait aussi d'ajouter
: "Sans les femmes, la Résistance ne pouvait rien faire."
Elle en était un élément de preuve. La Résistance pouvait en tout cas prendre
les couleurs d'un "grand jeu enfantin et mortel", selon la
formule de d'Astier de la Vigerie.
Lors de
l'arrestation de Caluire, près de Lyon, le 21 juin 1943, quand Jean Moulin,
chef de la Résistance fut arrêté avec sept autres dirigeants dont Raymond
Aubrac, l'aspect mortel l'emporta. Mais encore une fois, Lucie parvient, après
quatre mois de patience, à faire libérer son mari au cœur de Lyon.
Le couple
vit alors de cache en cache, recherché, traqué. Lucie Aubrac parvient, grâce à
ses contacts, à gagner
Londres le 8 février 1944 avec son petit garçon. Elle accouche d'une petite
fille quelques jours plus tard. Son combat aurait pu s'arrêter
là. Mais Lucie Aubrac participa à la Libération et siégera à l'Assemblée
consultative. Par la suite, elle ne cessa jamais de militer,
d'enseigner,
de faire la pédagogie de ce que furent l'ignominie de la collaboration et la
fraternité de la Résistance. De sa voix forte, avec une détermination
inoxydable, elle racontait, expliquait. Devenue militante d'Amnesty international,
prenant cause pour les sans papiers, elle résumait son credo d'une phrase : "Le
mot résister
doit toujours se conjuguer
au présent."
Par Laurent Greilsamer
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