Encore un coup des xénophobes !
Natacha
Polony
Ils
sont de retour. Les xénophobes, les racistes, ceux qui avaient accompagné le
résultat du 29 mai 2005. Ceux qui courent à longueur d’éditoriaux ou de
discours, sous la plume de Bernard-Henri Lévy ou de Franz-Olivier Giesbert,
dans la voix de Jacques Attali ou de Pascal Lamy. Le peuple a voté, qu’il soit
britannique aujourd’hui ou français hier, il a mal voté, il est donc xénophobe.
Raciste, même. Voter pour la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, c’est
militer pour la hiérarchie entre les races.
Voilà
déjà longtemps que les tenants de la « seule politique possible »
usent de ces notions de racisme et de xénophobie - user étant bien le terme -
pour éviter de débattre de la nature et des motivations de leurs choix
économiques et politiques. Évidemment, on aurait des raisons non négligeables
de soupçonner une entourloupe idéologique, particulièrement de la part de gens
qui nous expliquaient il y a peu que la Grande-Bretagne était un modèle de
prospérité économique dont nous ferions bien - paresseux et réactionnaires que
nous sommes - de nous inspirer, et qui affirment aujourd’hui avec gravité que
le vote pro-Brexit n’est qu’une réponse un peu trop éruptive d’une classe
ouvrière déboussolée par la crise. Et l’on connaît la suite : qui dit
crise, dit besoin de boucs émissaires, dit flambée raciste contre les immigrés…
Qu’il
existe dans tous les pays d’Europe (comme dans toute l’humanité, faut-il le
rappeler ?) des racistes rêvant de préserver une supposée pureté, personne
ne le niera. Mais voter contre l’Union européenne est-il une marque de
xénophobie ? Et, question corollaire, voter pour l’Union européenne
relève-t-il de l’amour de l’Autre et, plus largement, de l’adhésion à une
citoyenneté européenne ? Et d’ailleurs, citoyenneté ou identité ?
Ceux
qui nous vendent aujourd’hui une Union européenne essentiellement occupée à
organiser la libre circulation des profits vers le paradis fiscal
luxembourgeois et la libre circulation des travailleurs détachés vers des lieux
où les protections sociales sont scandaleusement garanties vont-ils nous
expliquer enfin quelle est leur définition de l’Europe ? De fait, on n’en
trouve pas trace dans les traités précédemment signés.
L’Europe
est-elle cette civilisation qui naît sur les ruines de l’Empire romain, dans
des royaumes convertis de justesse au catholicisme après un passage par
l’arianisme ? Doit-on garder le souvenir de la frontière marquée par les
missions de Cyrille et Méthode qui la partage entre monde grec et monde latin,
cette frontière qui a ressurgi quand l’Allemagne et le Vatican ont reconnu de
manière unilatérale la Croatie (catholique et pro-allemande) qui voulait se
séparer de la Serbie (orthodoxe et slave) ? L’identité de l’Europe
est-elle dans cette communauté de penseurs humanistes qui, après 1453 et la
prise de Constantinople par les Turcs, ont redécouvert l’Antiquité grâce aux
lettrés byzantins ? Est-elle dans le libéralisme d’Adam Smith ou la
déconstruction cartésienne, dans les Lumières de Montesquieu ou dans celles de
Kant ?
Il
est curieux que les contempteurs de la xénophobie soient justement ceux qui
effacent consciencieusement cette histoire complexe de la civilisation
européenne. Ni souvenir lointain de Rome et d’Athènes, ni royaumes chrétiens…
surtout pas ! On risquerait de constater que la Turquie, décidément, n’a
rien à faire dans l’Europe. On pourrait s’apercevoir que la France a au moins
autant à voir avec les pays du pourtour méditerranéen, le Mare Nostrum des
Romains, qu’avec les tolérants et froids scandinaves. Bref, mieux vaut nier l’autre,
les autres, effacer leur histoire, pour permettre le grand marché. Nier
l’histoire spécifique de la Grande-Bretagne, et même accuser le peuple le plus
tourné vers le monde d’être désormais fermé sur lui-même. Un comble !
La
négation des nations européennes et de leur histoire, maquillée en lutte contre
la xénophobie, ne saurait se prévaloir d’une quelconque « ouverture à
l’autre » (surtout de la part de gens qui ont soutenu et parfois suscité
les guerres les plus hasardeuses et dont les réfugiés qui frappent aux portes
de l’Europe sont les tristes témoins), pas plus que la négation des langues
européennes au profit d’un « globish » de technocrates et de
financiers ne saurait se faire passer pour un amour de l’Europe et de sa
civilisation. Respecter la différence, c’est construire l’Europe sur
l’articulation de ses différences et la liberté de ses peuples. C’est se
souvenir que le peuple anglais n’a jamais eu besoin des leçons des élites
françaises pour résister aux folies meurtrières.
Mais
la vérité, c’est que la globalisation, unique programme de l’Union européenne,
déteste les différences et s’accommode mal de l’esprit des peuples et de
l’histoire des nations. Alors, remercions les Anglais qui, une fois de plus,
nous ont rappelés aux devoirs des grands pays. « Ce n’est pas la fin,
disait Churchill en 1942, ni même le commencement de la fin, mais c’est
peut-être la fin du commencement. » Le commencement d’une construction de
l’Europe des peuples et des nations, traduction politique d’une grande
civilisation.
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